Quel rôle joue l’information dans la période contemporaine ? On peut s’étonner de l’apparente contradiction des développements parallèles d’une part de la maîtrise de l’information et d’autre part de l’affaiblissement de la vérité.
La maîtrise de l’information résulte de la numérisation des données, de développements majeurs dans les technologies de l’information et de l’émergence de nouvelles capacités de gouvernance à distance des activités du monde. L’affaiblissement de la vérité se manifeste par une perte de légitimité des institutions du savoir et du pouvoir, qui résulte dans une cacophonie générale, ou le vrai et le faux semblent se partager un même bien-fondé. Comment une telle contemporanéité est-elle possible ? Ce cours tente de considérer le système de traitement de l’information d’une société autant que possible dans sa plus grande généralité. Le fonctionnement d’une société repose sur des flux d’information qui permettent d’orienter les échanges et l’activité et de préserver une certaine stabilité opérationnelle. Une société échange aussi avec son milieu, au niveau le plus large l’écosystème de la planète, afin de préserver là aussi les conditions de son fonctionnement. Que peut-on dire d’un tel système ? Peut-il être plus ou moins efficace ou adapté ? Dans ce cadre très général, Stéphane Grumbach considère la gestion des ressources, le développement du savoir, la gouvernance des humains, mais également le rapport à l’impénétrable, ce qu’on ne sait pas.
Le paradoxe de la contemporanéité de la maîtrise de l’information et de la perte de contrôle sur le réel, notre environnement, n’est probablement qu’apparent. Ce sont les deux faces d’un même phénomène. Les technologies de l’information ont évolué, au cours de l’histoire, avec la croissance de la complexité des sociétés. La révolution industrielle a fait émerger des processus et des systèmes complexes, comme un réseau ferroviaire par exemple, qui n’ont pu être maîtrisés que grâce au développement concomitant de technologies de l’information comme le télégraphe. L’évolution du climat contraint l’humanité à s’adapter, en contrôlant ses interactions avec l’écosystème de la planète, ce qui induit une croissance majeure de la complexité. L’émergence de la société du contrôle est donc, à mon sens, le corollaire de cette augmentation de la complexité du fonctionnement des sociétés humaines. Cette transformation ne s’effectue toutefois pas dans un climat serein et positif, comme une grande étape de modernisation, mais dans un contexte de turbulences. Les institutions sont fragilisées par cette double révolution et les valeurs remises en cause par la responsabilité de l’humanité dans la dégradation de ses propres conditions d’existence. La confiance dans la science est ébranlée, tout comme les mécanismes de régulation des sociétés, parmi lesquels les principes et les croyances.
Le système d’information global qu’offre la datasphère n’a jamais été aussi puissant et centralisé. Il permet de prélever l’information n’importe où et de la traiter à distance en combinant des données de toute granularité, du macro au micro. Les médiations sont assurées hors sol pour une part croissante des interactions : les marchés financiers, les échanges économiques ou sociaux, l’accès à la connaissance, le recours aux soins, etc. De nouvelles asymétries d’information se font jour qui bouleversent les équilibres de pouvoir à tous les niveaux et la structure même des sociétés. C’est une révolution majeure. (…)
Stéphane Grumbach (France), directeur de recherche à Inria et spécialiste des données.