Ce cours poursuit le questionnement des rapports de l’homme à l’animal, qui restent marqués par une différenciation essentialiste, fruit des rapports particuliers de l’homme à la nature, une construction plutôt qu’une relation « naturelle ». Une réflexion introductive se proposera, dans un premier temps, de cerner ce qu’est la nature dans le champ lexical du droit. A l’occasion des « Ruptures à l’ère de l’Anthropocène », objet de nos entretiens de la précédente session, qui caractérisent le renouvellement des rapports de l’homme à l’environnement, nous interrogions la personnification de la nature, où l’animal se retrouvait sujet de droit, soustrait de sa condition d’objet de ce même droit.
Dans le cadre des « Controverses juridiques » qui marquent cette ère vraiment très spéciale qu’est l’Anthropocène, nous allons poursuivre ce questionnement des rapports de l’homme à l’animal, qui restent marqués par une différenciation essentialiste, fruit des rapports particuliers de l’homme à la nature, une construction plutôt qu’une relation « naturelle ». De fait, en dépit des apparences, la nature reste largement un impensé des sciences humaines et sociales en général, et du droit de l’environnement en particulier. On la chercherait en vain dans l’épais catalogue des textes qui structurent cette discipline : le droit de l’environnement est-il, en définitive, un droit de la nature ?
A tout le moins, le droit de certaines de ses composantes. Une réflexion introductive s’impose, afin de mieux cerner ce qu’est la nature dans le champ lexical du droit et comment le droit traduit/trahit une construction sociale de la nature et répond aux exigences de sa protection. Si la nature est conçue et pensée comme on voudrait qu’elle soit au lieu d’être envisagée telle qu’elle est, cela perturbe nécessairement les rapports à elle et ses composantes. La sensibilité animale en est un exemple presque caricatural, le droit ayant été marqué par les supposées Lumières, où les théories mécanistes ont fait de l’animal une simple chose incapable d’éprouver des sensations. Si les progrès de la raison ont permis de modifier ce schéma, ils n’ont cependant pas achevé leur œuvre : le droit opère ainsi une partition entre animal domestique et animal sauvage et n’octroie pas à l’un la même condition qu’à l’autre, sans justification particulière. C’est une différence de conditions, placée sur un autre registre, que le droit entretient entre les espèces animales lorsqu’il s’agit de leur conférer – ou pas – un statut de protection, sur le fondement de critères scientifiques, listes profondément anthropiques avec une variabilité qui échappe parfois, interroge en tout cas. Cela interroge d’autant plus que certaines de ces espèces font l’objet d’un ostracisme certain : leur retour est en effet diversement apprécié, discuté, rejeté même, et plus encore quand il est organisé par l’homme. La présence des grands prédateurs (loup, ours, lynx) sur leur aire de répartition est perçue comme une occupation concurrentielle de l’espace naturel, un retour à une sauvageté que l’on ne peut plus accepter. Et qu’il faut repousser de nouveau. D’autres arrivées inquiètent plus encore, moins maîtrisées car moins maîtrisables, celles des espèces exotiques envahissantes, présence aux causes multiples et contre lesquelles il faut lutter et contre lesquelles le droit tente de former un rempart, barrière de papier plus que barrière matérielle réelle. S’adapter, peut-être, faute de mieux. Les espèces autochtones ne sont parfois pas mieux considérées, dont le nombre et la présence peuvent être cause de dommages et que l’on qualifiera alors de « nuisibles », sous-catégorie des « espèces susceptibles d’occasionner des dégats » (ESOD), qualification juridique accommodante qui autorise leur régulation. Ainsi va la classification des composantes animales de la nature, organisée en fonction d’un rapport de plus ou moins grande proximité avec l’homme, d’une proximité choisie qui artificialise plus encore les rapports à la nature.