L’énergie est notre avenir, créons des communautés énergétiques

La semaine dernière et, grâce à la radio anthropocène (et oui !), j’ai découvert et je déguste depuis un livre absolument fabuleux sur les communautés d’énergie.
Coordonné par le collectif Énergie de Nantes, ce livre relate les tribulations de plusieurs militants qui, coup de génie, rénove de vieux moulins, y installent des turbines, et produisent de l’électricité avec. Énergie qu’ils revendent ensuite en dehors de tous les marchés financiers, à prix stables et justes. À l’entente de cette aventure, on aurait tendance à reprendre l’adage qui veut que l’énergie soit notre avenir, mais cette fois pour nous inviter à nous organiser et nous en emparer, plus efficace que l’économie triste et contrainte, pas vrai ? Je ne vais pas ici vous raconter ce que cet ouvrage renferme plus en détail puisque cela a déjà été fait ici, mais revenir sur quelques notions et questions que la lecture de ces pages évoque pour moi.

Pour commencer, de quoi parle-t-on lorsque l’on invoque la terminologie “communautés d’énergie” ?

D’abord, l’appellation est consacrée juridiquement. D’après l’article L292-2 du code de l’énergie, une communauté énergétique peut prendre part à la production, notamment à partir de sources renouvelables, à la fourniture, la consommation ou le stockage de l’électricité. Elle peut fournir des services améliorant l’efficacité énergétique et accéder, si elle le souhaite, aux marchés de l’électricité.
Ce cadre légal a été consolidé en 2023 et est l’issu d’un travail conjoint entre la direction générale de l’énergie et du climat, le réseau CLER, Energie Partagée et Enercoop, grands acteurs de l’énergie citoyenne. L’objectif de cette définition institutionnelle est de doter ces collectifs citoyens d’un véritable statut, leur permettant d’agir au même titre que les acteurs hégémoniques sur les systèmes énergétiques. Pour autant, certains spécialistes critiquent justement cette définition, qui ne spécifie pas qu’une communauté énergétique ne peut être considérée de la même manière que, je ne sais pas, si je choisis un acteur énergétique au pif, Total. Il faudrait par exemple proposer des aides et un encadrement singulier pour que ces collectifs puissent se développer et réellement embrasser toutes les perspectives de changements structurels que leur simple existence promet.

Enfin, l’association Energie Partagée soutient l’importance de distinguer la communauté énergétique de la notion d’autoconsommation collective. Cette dernière désigne en effet les pratiques de production d’énergie, partagée entre plusieurs acteurs. Elle peut être l’une des opérations menées par une communauté d’ailleurs, mais pas exclusivement. Des acteurs privés et commerciaux peuvent en effet s’organiser pour produire conjointement sur un même site. Aussi, Energie partagée nous apprend que ce qui fonde la communauté énergétique, c’est sa dimension démocratique. Ce sont des collectifs caractérisés plutôt par leur organisation horizontale, leurs prises de décisions démocratiques et l’implication des usagers dans les process, en lieu et place de leurs modes de production de l’énergie.

Pour y voir plus clair, parcourons quelques exemples d’initiatives qui se rapprochent de la définition.

On peut d’abord citer, tout proche d’ici, l’association Toits en transition, qui vise à démocratiser le déploiement de centrales photovoltaïques, notamment sur le territoire de la métropole de Lyon, par des collectifs d’habitants. L’association accompagne ainsi des citoyens engagés à monter et dimensionner leurs projets, mais aussi à interagir avec les pouvoirs publics ou encore les opérateurs de réseaux, à qui il s’agit par exemple de vendre l’électricité produite. Dans ce cas, l’électricité est produite grâce à une source renouvelable mais n’est pas nécessairement consommée par le producteur. Ce procédé peut sembler contrintuitif mais, plus il y aura de centrales citoyennes qui participent à nourrir le réseau, quand bien même ce ne sont pas les mêmes qui consomment cette électricité renouvelable, plus le mix énergétique du pays sera durable.

D’autres communautés se sont montées au fil du temps en réinvestissant d’anciens lieux de production énergétique, comme c’est donc le cas d’énergie de Nantes. Le site d’énergie partagée propose une carte identifiant les projets d’énergie citoyenne qui émergent dans tout le territoire national. Question d’accessibilité et de facilité, la plupart d’entre eux exploitent de l’énergie solaire. Certains résistent cependant à la tendance et prouvent par l’exemple la fertilité de ce modèle de production énergétique. C’est le cas notamment du projet Michauco, dans le nord de la France, qui monte et auto-gère des micro chaufferies à bois, ou encore de l’association ATEEVA à Ville-d’Avray, qui déploie des pompes à chaleur sur sondes géothermiques pour remplacer les chaudières à gaz des habitations.

Des collectifs rêvent encore plus grand, et parviennent à vivre en complète autonomie, en dehors, non seulement des marchés financiers, mais aussi des réseaux électriques généraux. Ce choix n’est pas nécessairement le plus prometteur pour une bascule systémique, mais l’expérimentation est motrice à efficacité redoutable. Dans bien des cas, cela peut permettre d’éviter de tirer des lignes à haute tension pour que des villages très éloignés puissent, légitimement évidemment, accéder à l’énergie. Aux Pays-Bas, les habitants de l’éco-village Boekel ont fait ce pari fou : ils vivent dans des bâtiments isolés au chanvre, en mesure de capter plus de Co2 qu’ils n’en rejettent et, sont alimentés en électricité grâce à la production de plusieurs panneaux solaires et au stockage de l’énergie par un système au doux nom de César.

Enfin, certains collectifs, très revendicatifs, s’organisent pour lutter frontalement contre un système qu’ils jugent à bout de souffle. C’est notamment le cas d’un certain nombre d’organisations dans le cadre de la lutte contre le nucléaire. Dans les années 1970, nombre de collectifs citoyens locaux se sont ainsi montés contre des projets d’implantation nucléaire. Ce fut par exemple le cas à Pont-sur-Yonne, où les agriculteurs se sont mobilisés pour bloquer les routes et empêcher le travail des géomètres qui préparaient l’installation éventuelle d’une centrale. Que l’on soit pour ou contre le nucléaire n’est pas ici la question: ce qui est intéressant est bien de voir qu’aucun sujet n’est trop technique pour que les habitants d’une zone ne puisse s’en saisir, le réfléchir et exprimer leur avis. C’est ici le savoir d’usage des habitants de pont-sur-yonne qui a émergé: l’installation d’une centrale aurait modifié leur manière d’appréhender leur territoire et potentiellement neutralisé des terres agricoles.

Ces communautés énergétiques sont donc particulièrement intéressante pour politiser la question de l’énergie et renforcer la capacité des citoyens à faire valoir un point de vue alternatif sur le sujet. Qu’il s’agisse de collectifs opposés à un projet ou d’autres organisés pour gérer la production de leur propre énergie, tous font vivre la possibilité d’un monde énergétique décentralisé, au sein duquel les consciences sont de fait plus aiguisées. En effet, ces communautés sont radicales dans les perspectives qu’elles offrent puisque démocratique. Elles permettent de régénérer les liens entre fournisseur et consommateur et d’impliquer ce dernier par sa participation au projet ou a minima sa détention d’une voix capable d’orienter les décisions socio-techniques de la communauté. Or, être consultés et impliqués, débarassés de ses passivités consuméristes, c’est faire un pas vers une organisation sociale conviviale. Il ne s’agirait alors plus de faire confiance obligatoire à un système expert dont nous sommes dépendant et, au cœur duquel nous ne pouvons donc que bien peu interroger les choix techniques ou encore les évolutions tarifaires. Au sein des communautés énergétiques, le savoir est bien plus partagé et, ce partage de l’expertise, permet dès lors à chaque membre de prendre part à l’organisation et d’en assurer la justesse. Des solidarités peuvent aussi émerger pour répondre égalitairement aux besoins énergétiques sans ruiner la planète: il n’y a pas un acteur hégémonique qui organise et rationalise le système, et d’autres qui s’en accomodent. Ces communautés favorisent ainsi la responsabilisation de chacun, et le renforcement de l’autonomie des consommateurs. Or,l’autonomie est vertu politique.

En ce sens, les communautés énergétiques semblent s’ériger en espace qui embrassent le concept d’autonomie relationnelle. Ce dernier, proposé notamment par Diana Meyers, décrit que l’exercice de son autonomie, et donc de son agentivité, dépend de facteurs sociaux et relationnels. Aussi, si les individus ne sont pas, à tous les temps de leur vie, en mesure de prendre des décisions ou de répondre à leurs besoins, les aider ne doit se faire sans reconnaître leur autonomie. Si les pouvoirs publics cherchent par exemple à lutter contre la précarité énergétique, on peut interroger la pertinence des dispositifs proposés s’ils sont pensés sans les personnes concernées. Les communautés d’énergie ont ça d’original qu’elles pensent la précarité énergétique comme un risque à prévenir. Les consommateurs étant considéré comme autonomes, ils le sont tant pour les décisions qu’ils prennent en matière de fourniture et de gestion énergétique, que pour la mobilisation et l’activation de solutions, que le collectif dans lequel ils s’insèrent peut donc leur apporter rapidement, lorsqu’ils sont en difficulté. Et finalement, penser et s’organiser collectivement serait la clé de voûte de l’émancipation individuelle.

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