Bonjour à toutes et tous. La semaine dernière, Trump a encore fait des siennes et cette fois, ce sont les fonds marins qui sont en grand danger. Quel rapport avec l’énergie me direz-vous ? Je vous raconte !
Le deep sea mining décrit une technique d’extraction de minerais rares consistant à racler les fonds marins. Pour cela, des machines gigantesques, qui ressemblent à de monstrueuses moissonneuses batteuses, passeraient au peigne fin les fonds de l’océan, ignorant ostensiblement que toute une vie s’y épanouit et que l’équilibre climatique et planétaire dépend aussi de la sérénité de la vie océanique. Surtout, le deep sea mining s’inscrit dans un vide juridique, qui fait les choux gras de l’industrie fossile. En effet, les zones marines dans le viseur des potentiels exploitants qui tireront profit de cette nouvelle technique se situent en dehors des espaces maritimes dont chaque pays est responsable. Le deep sea mining aurait ainsi lieu dans les eaux internationales: c’est donc le droit international de la mer qui doit ici encadrer et réglementer cette pratique.
Rappelons que les plaines abyssales marines sont très difficiles d’accès. Aussi, on ne connaît que bien peu de choses sur elles, si ce n’est qu’elles renferment une biodiversité absolument fascinante, mais encore bien discrète dans les livres de biologie. Mais chaque nouvelle exploration est couronnée de découvertes invraisemblables: là, à des milliers de mètres de profondeur, vivent des centaines d’espèces capables de survie dans des conditions de pression et d’obscurité extrêmes, tout en subissant un stress alimentaire important. Pour autant, elles sont bien présentes et risquer de les tuer pour quelques tonnes de minerais pourraient avoir des conséquences que l’on mesure bien difficilement : les services qu’elles rendent à l’océan et à la planète restant encore peu documentés.
Aussi, la vie des espèces établies à des surfaces moins profondes sera perturbée par cette exploitation : pollution sonore, acidification et réchauffement de l’eau induit par l’activité minière pourrait probablement modifier les routes migratoires de nombreuses espèces. Alors pour le moment, on pourrait se dire qu’on s’en fiche pas mal de détruire l’habitat et les capacités de survie de bestioles qui vivent dans le noir et que personne n’a jamais vu. On pourrait aussi argumenter que les poissons se remettront bien de devoir faire des détours pour trouver des zones où la nourriture est présente en abondance. Mais ne pas considérer les effets dramatiques qu’impliquerait la destruction de familles entières d’espèces équivaut à une ignorance crasse du fonctionnement de la planète. Pour faire simple, il faut envisager la planète comme un système au sein duquel un réseau de corps, d’espèces et de phénomènes s’imbriquent et se relient les uns aux autres. Tous sont dépendants et offrent autant de services qu’ils en reçoivent. Ainsi, la biodiversité est le socle de nos existences. Les autres espèces ne sont pas uniquement des individus qui occupent et émerveillent les journalistes animaliers, mais jouent un rôle fondamental pour que l’habitabilité de la planète ne rime pas avec chaos: elles pollinisent, fertilisent les sols, nous protègent de certaines catastrophes naturelles et absorbent le Co2, entre autres. Gaz délétère qu’on ne présente plus, ce dernier est aussi incriminé en contre-argument pour répondre aux enthousiastes de l’extraction minière en mer profonde. En effet, les sédiments marins stockent énormément de carbone. Labourer les fonds marins reviendrait donc à mettre un immense coup dans la face de l’océan et de son rôle de puit de carbone: atout indispensable sur lequel nous devons pourtant nous appuyer si l’on souhaite résoudre la crise climatique et nous adapter au mieux.
Mais paradoxalement, le deep sea mining est présenté par les acteurs en étant convaincu comme une industrie qui permettra la transition énergétique. Etonnant, n’est-ce pas ? Tout se passe du côté de la fracture géologique Clarion-Clipperton, qui s’étend sous l’océan pacifique. Cette dernière présente la particularité d’être recouverte de nodules de métaux rares. Au plus profond de cette faille se trouvent ainsi des grosses boules métalliques composées de cobalt, nickel et manganèse: une vraie mine d’or sur laquelle nous sommes tombés là par pur hasard ! Le lien avec la transition énergétique est marquée ici par le besoin des différentes techniques de stockages et de productions alternatives d’énergie en métaux rares. Les batteries, notamment, ne peuvent fonctionner sans nickel. Cette approche de la transition énergétique est délétère dans son essence même. Concevoir des solutions techniques pour pouvoir produire et consommer de l’énergie de manière décarbonée, mais nécessitant la destruction d’écosystèmes entiers, est foncièrement antiécologique. La transition est ici investie comme une problématique technique et non environnementale. En d’autres termes, on cherche à optimiser les technologies déjà existantes et à en développer de nouvelles pour pouvoir maintenir en l’état nos niveaux de vie et mode de production, mais on ne repense ni nos besoins, ni notre rapport avec le vivant. On gagne du temps, on signe un nouveau crédit, et pour cela, on prend des risques incommensurables pour le futur.
Face à ces effrayantes perspectives, de nombreuses personnes se sont levées et investies pour ralentir la ruée vers les nodules sous-marins de cobalt. Pour bien comprendre qui a agi, comment et à quel moment, je m’appuie ici sur la théorie de l’acteur réseau. Proposée notamment par Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour dès les années 80 et synthétisée dans un livre fondateur publié en 2006, cette théorie propose un ensemble d’instruments visant le décryptage des trajectoires socio-techniques des innovations. Il s’agit ainsi de considérer que chaque innovation n’est pas propulsée et adoptée socialement en raison de ses qualités techniques intrinsèques, mais suite à un ensemble d’opérations de traduction entre différents acteurs impliqués plus ou moins directement dans sa production. Plus clairement, il s’agit de considérer qu’une innovation technique remporte un succès social parce qu’elle parvient à convaincre de nombreux acteurs qui en assureront la promotion et qui développeront d’autres dispositifs supports de sa réussite. Ainsi une réalité socio-technique se stabilise et fait office de vérité parce que différents groupes d’acteurs négocient entre eux pour construire cette vérité.
Les auteurs pensent toute innovation comme imbriquée dans une trajectoire qui sera émaillée de stratégies d’intéressement, d’enrôlement, de déploiement de partenariats ou encore de controverses, qui apporteront un nouveau regard sur la situation et participeront ainsi à sa stabilisation. Si l’on applique cette méthode à l’enjeu du deep sea mining, on peut identifier différents groupes d’acteurs ayant agi jusqu’aux prémisses d’une stabilisation de la situation. D’abord des grands groupes miniers s’investissent pour développer les technologies qui permettront l’exploitation des fonds marins et convaincre la scène internationale d’autoriser leur action. Dès les années 2010, nombre d’entre eux se sont organisés en consortium pour mener des recherches, produire des données et développer des technologies d’exploration des fonds marins. C’est par exemple le cas de la deep sea mining alliance qui explique que le deep sea mining est une véritable solution pour répondre à l’augmentation de la demande en métaux rares, dans le cadre de nos transitions environnementales et numériques. Le consortium se veut rassurant: leur démarche est durable; ils s’engagent pour réduire l’impact de l’extraction minière à son point minimal. Pour autant, l’autorité internationale des fonds marins, créée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer est la seule en mesure de réguler l’exploration des fonds marins n’appartenant à aucun pays et, sa décision quant à l’exploitation en eau profonde se fait attendre pour certains. En 2021, The Metal Company, face à la lenteur des prises de décision des Etats quant à la délivrance ou non de permis non plus seulement d’exploration, mais d’exploitation des fonds marins, imposait un ultimatum aux nations: elle leur donnait 2 ans pour poser un cadre réglementaire. Jusque là, on pourrait se dire que l’on fait face à une action de lobbying classique mais l’etat insulaire de Nauru s’est joint à la demande de l’entreprise et, son gouvernement a ainsi exigé l’application de la règle des deux ans, forçant l’autorité internationale à statuer rapidement. Il faut dire que l’environnement maritime de l’île est particulièrement riches et amèneraient une manne financière importante, et que l’une de ses entreprises minières locales n’est autre qu’une filiale de… roulement de tambour… The Metal Company. Cette nouvelle a mis le feu aux poudres et obligé de nombreux acteurs à se remuer. Ainsi, associations, ONG et citoyens se sont organisés, en menant notamment la deep sea mining campaign pour que l’AIFM décide de faire appliquer coûte que coûte le principe de précaution. Différents pays ont ensuite pris l’initiative de s’opposer à cette pratique minière, comme ce fut d’abord le cas du Portugal puis de la France. Pile à l’heure, l’AIFM s’est exprimée en 2024 et 32 pays des 36 membres de l’autorité se sont alors positionné en faveur d’un moratoire prévoyant l’implication du principe de précaution. En Europe, la Norvège a cherché à lancer un projet d’exploitation minière mais, face à la pression des activistes et du reste de l’union, l’a abandonné au profit de la seule exploration en janvier 2025. Cela faisant donc quelques mois que la trajectoire de l’innovation que pourrait être le deep sea mining semblait ici stabilisée: tant que l’on n’en sait pas plus sur les implications environnementales de cette nouvelle technologie, on ne fait rien. Et puis patatra, le 24 avril, à la demande, je vous le donne en mille de The Metal Company, et oui, encore eux, le président Trump a signé un décret, qui pourrait s’appliquer d’ici à deux mois, et qui autoriserait l’exploitation des fonds marins. Alors, au-delà de la dangerosité de cette décision pour l’intégrité des fonds marins, c’est une véritable crise de la gouvernance environnementale internationale qui a été ici déclenché par le seul fait d’une parole. En promulguant ce décret, Trump sape en effet l’autorité légitime de l’AIFM et fragilise d’un seul geste l’ensemble de nos instances internationales, seules en mesure de légiférer et d’organiser la résilience climatique à l’échelle internationale. Il est alors urgent que les autres pays membres de l’AIFM fassent bloc contre cette décision et, rénovent par la même le sentiment d’appartenance à une communauté internationale, supposée prendre le pas sur les intérêts propres des nations, si l’on veut être en mesure de répondre à la crise climatique tout du moins.
Une chronique de Virginie Chaput (laboratoire ELICO).